Lettre n. 101

 
 

 

Hoa-Lo-Pa, ce 24. IX. 1939.

 

Ma chère Anna,

il y a six mois que tu ne m'as pas écrit. Je pense méchamment que c'est parce que, dans ma dernière lettre, je t'avais demandé un service ! Bon, que fais­tu chérie dans un pays qui est en guerre. Ainsi donc, il nous faudra toucher du doigt les horreurs dont on nous a bourré les oreilles et les yeux. Il nous faudra, surtout, être héroïques, comme nos prédécesseurs. Sommes-nous prêts ? Il nous faut porter la croix. Ah ! ce n'est pas du tout agréable de porter la croix. J'ai compris un peu ce que ces terribles mots si répétés, si peu pris au sérieux, ont de grave pour notre pauvre caeur. Porter la croix, cela signifie ne plus savoir où donner de la tête, espérer contre l'espérance, croire contre toutes les apparences, aimer quand rien n'est aimable. C'est difficile, n'est-ce pas ? Qui est donc notre Dieu, puisque, pour le servir un peu, un peu comme ça, il faut tant de courage ?

Oui, ma chère, je suis en proie à toutes sortes de difficultés pécuniaires, difficultés d'approvisionnement, difficultés de ceci et de cela. Le diable s'y met et il tient bon. Avec tes prières, ce qu'il y a de certain, c'est que je ne flancherai pas non plus.

Mon école, somme toute, prospère. J'ai lancé un théâtre qui a réussi. Je vais commencer, les travaux des champs une fois finis, toute une série de prédications, d'où j'espère tirer quelques baptêmes. Sois avec moi.

Et pour toi, aussi, fais du bien, du bien à tout le monde. Tout le monde en mérite, parce que tout le monde est misérable.

Respectueuses salutations à ta Révérende Mère et à toutes les Soeurs.

M. Tornay.

 

N. B. Ma nouvelle adresse ne change rien. Écris toujours à Weisi. De Weisi ici, il n'y a pas de poste. Les deux villages ne sont distants que de deux heures.