Lettre n. 103 |
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Hoa-Lo-Pa, le 14 mars 1940. Ma
toute chère Joséphine, J'ai
reçu ta chère lettre, il y a quelques jours seulement. Il fait si
bon te relire ; il fait si bon penser aux parents lointains ! Non, je
ne sais pas quelle meilleure consolation, après la prière, que de
revivre avec ceux d'autrefois. Merci beaucoup. Ainsi, les vieux s'en
vont. Adèle est morte. Adèle, c'était à elle seule toute une Rosière.
Que de changements, depuis mon départ ! Je crois que, dans quelques
années, je ne reconnaîtrai plus rien. La vie est brève ; la figure
de ce monde passe91. Maman
est fatiguée. Je comprends, après tout ce qu'elle a fait. Pauvre
Maman ! Dis-lui que je connais bien le Bon Dieu, et que le Bon Dieu
lui donnera la mort qu'elle mérite: une mort douce, celle du
travailleur fatigué. Elle rentrera au ciel, comme l'ouvrier qui
rentre chez lui, à la fin de son travail. Et
Papa est monté encore aux Crettes ? C'est un brave ! Au reste, je ne
le vois pas ailleurs que là. Dis-lui qu'il aura une récompense
particulière, parce que, mieux que d'autres, il a aimé ce que le Bon
Dieu a fait de plus beau. A l'un et à l'autre, fais leur entendre que je ne suis pas si loin et que d'ici, je puis leur être utile autant qu'à côté... Mon devoir est de prier. La prière nous a fait ce que nous sommes; elle nous sauvera. Et toi, ma chère, et Marie, et François? Tu me dis beaucoup de choses dans ta lettre,... mais pas tout. Faudrait-il que je me mette à deviner ? N'avezvous pas reçu, cet été, une lettre en chinois d'un de mes élèves ? Parlons d'ici. Primo,
Dieu merci ! je vais très bien. Secundo,
la famine fait rage. Sur les 300
familles qui composent mon voisinage, 4
à 5 ont suffisamment à manger. Les autres mangent, devine quoi :
des racines de fougères. Aujourd'hui, on voulait me vendre des
enfants. Par-ci, par-là, des gens meurent. Seigneur, délivrez-nous
de Vous m'avez émerveillé par votre générosité. Je ne m'attendais pas à tant. Quand François reviendra à la maison, embrasse-le quatre fois pour moi : deux fois, sur la joue gauche ; deux fois, sur la joue droite. De ma part, hein ? et non pas de la tienne. Je comprends les
ennuis qu'a dû vous causer Croyez tous à mon affection la plus vivante, et ne vous faites pas de soucis à mon sujet. Saluez tante et tout le monde. Tornay Maurice |
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91 I Cor. 7,31. |